Découvrir François Deguelt n'est pas une chose simple, loin s'en faut ! D'abord parce que l'artiste est rare sur les ondes, ensuite parce que sa carrière a suivi le cours de sa vie d'homme, au gré des hauts et des bas de celle-ci, au rythme de son temps...Détaché du monde, un peu poète, un peu philosophe, François Deguelt est d'une discrétion qui l'a fait oublier des médias actuels et seule une poignée de fans très attachée à lui a su lui conserver une fidélité sans faille !
Bien malin le néophyte qui pourra affirmer qu'il connait Deguelt parce qu'il connait "Le ciel, le soleil et la mer" comme tout le monde ou presque, non Deguelt ne se résume pas à ce tube de l'été 1965 qui, il est vrai, est encore présent dans bien des mémoires, voire même dans l'inconscient collectif tant il a fait et fait encore danser chaque été des milliers d'amoureux enlacés...
"Le ciel, le soleil et la mer" marque surtout le tournant dans la carrière de François Deguelt, il y aura eu avant et après cette chanson.
Au début de cette aventure qu'est la chanson (qu'il qualifie de maîtresse), François est un jeune artiste qui écume tous les cabarets, courant les cachets et enchaînant les petits boulots pour arrondir des fins de mois que seuls les artistes connaissent mais très vite, sa voix et sa générosité vont le faire connaître et de petits succès en petits succès (son premier 45 tours se vendra à seulement une quinzaine d'exemplaires), le succès va croissant au point que l'on écrit désormais pour lui, comme c'était la mode à l'époque et des gens comme Henri Salvador ou Charles Aznavour vont vendre leurs chansons par son intermédiaire.
C'était aussi la mode des reprises de standards américains et les Platters auront ainsi la faveur de François qui reprendra en français "Only You" ("Loin de vous"), "Smoke gets in your eyes" ("Fumée aux yeux") ou "My prayer" ("Ma prière") et en fera des titres forts connus dans cette version au point d'ailleurs que certains autres chanteurs reprendront...François Deguelt reprenant les Platters !
Bizarrement, c'est avec un titre dont il est l'auteur ("Je te tendrai les bras") qu'il décrochera en 1959 le Coq d'Or de la Chanson Française et ensuite, tout s'enchainera très vite pour lui avec deux participations à l'Eurovision et de mutiples récitals dans les plus grandes salles parisiennes sans compter les tournées dont une en première partie d'Edith Piaf, alors à l'apogée de sa gloire !
Mais l'ami François est un fainéant (je me permets ce mot puisque lui même le reconnait volontiers) et assurer tous ces tours de chant presque quotidiennement ainsi que l'animation pendant plus de trois ans d'une émission sur Radio Luxembourg est un travail considérable pour lui qui rêve d'évasion et de liberté. Qui plus est, la profession change et le "yéyé" tue un peu la chanson qu'il affectionne tant, c'est pourquoi petit à petit, il s'efface et ne chante presque plus... Nous sommes en 1964, fin de la période "Deguelt, rive gauche".
1965, à l'arrière d'une voiture dans Paris, François pense à une fable de la Fontaine (le chat, la belette, le petit lapin) et écrit vite fait, en se moquant de cette nouvelle génération de chanteurs à la mèche rebelle, une chanson dont il est loin de se douter du rententissement sur la suite de sa carrière... "Le ciel, le soleil et la mer" arrive dans les bacs des disquaires et les radios tombent sous le charme, la carrière de François est relancée de manière fulgurante puisqu'en quelques mois, le titre se vend à plus de 150.000 exemplaires ! Surfant sur cette vague, François va écrire et composer une quantité de superbes chansons tendres et mélancoliques, orchestrées de main de maître par Jacques Denjean et si aucune n'aura le succès du "Ciel...", certaines sont pourtant bien plus belles et aucun des fans de François Deguelt ne les renie d'ailleurs !
Mais la carrière de François est liée à sa vie même et si l'artiste est comblé de ce succès, l'homme,lui, traverse une crise difficile...
Marié à Dora Doll, alors une comédienne très célèbre, et surtout enfin très amoureux après de nombreuses années aux bras de filles qu'il n'aimait pas, l'homme avait enfin posé sa valise mais sans que l'on sache réellement pourquoi la rupture arriva et plongea François dans une profonde dépression qui se ressentira dans ses chansons ("Les beaux dimanches" est à ce titre extrêmement révélatrice). Lassé de vivre dans et pour le show-biz, après une vingtaine d'années de carrière, François s'en va, discrétement, sans faire d'adieux, sur son voilier au gré du vent !
"De 19 à 30 ans j'ai chanté en cabaret à l'exception de 27 mois de service militaire. De 34 à 40 ans, j'en ai eu un moi-même. 20 ans de cette vie-là, ça suffit. Il est rare qu'ensuite on ait encore envie de passer ses soirées en discothèque ! En mer, on devient disponible aux plus petites choses du quotidien, on vit un présent dilaté."
Le come-back ne s'est jamais présenté, il faut croire que l'artiste ne souhaite plus revenir au port que pour de courtes escales et si, de temps en temps, François nous offre quelques nouvelles chansons, c'est toujours sans jamais promettre un éventuel retour et ses fans (aussi dépités soient-ils) savent respecter cette envie de solitude. Père d'une Marie et remarié, François est toujours là... mais chut !
L'essentiel de sa carrière ne peut se retrouver sur une seule compilation mais celle qui est sortie en 2002 pour ses 50 ans de carrière est de très bonne facture et donne un aperçu très juste de tout son talent même si l'on regrette que la première partie de sa carrière y soit moins bien représentée...
Par Nicolas, le 12 août 2004
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